mardi 3 mai 2016

LA VALEUR DU JOUEUR POUR UN OPERATEUR DE POKER

Il était une fois un bar branché à l’ambiance festive. Satan y débarque un soir, affublé de ses molosses écumant de bave et s’installe à la table qu’il a réservée ; joueur de poker professionnel, gagnant et célèbre, Daniel décide lui aussi de s'y rendre un autre soir. Satan commande bouteilles de champagne, cognac et cigares ; Daniel se contente de boire les verres qu’on lui offre. Satan force des clientes horrifiées à s’assoir sur ses genoux, ses bêtes mordent les autres clients ; Daniel est le centre de la soirée, on se régale à écouter ses blagues et anecdotes. Les gens n’aiment pas la présence de Satan et commencent à partir ; des clients viennent au bar tout spécialement pour Daniel et être en sa compagnie. Dans le cas de Satan, malgré sa grosse commande, le bar n’a finalement réalisé que la moitié du chiffre habituel : les clients ont quitté l’établissement et pire encore, l’histoire s’est propagée et les jours suivants, la fréquentation a chuté. Pour la soirée avec Daniel, bien qu’il n’ait rien dépensé, de nombreux clients lui ont offert à boire, ont consommé plus qu’à l’accoutumée, et tout le monde sait qu’on y passe une très bonne soirée. 


Cette belle fable est à mettre au crédit d'Alex Scott, Responsable Poker chez Microgaming, opérateur du 7e réseau mondial MPN (source Pokerscout). Dans un billet publié le 23 Mars 2016 sur le blog de son entreprise, intitulé « How to value poker players* », il explique dans le détail le raisonnement actuel des opérateurs.


Les joueurs de poker sont aspirés dans un délire de masse actuellement. Ils pensent que plus ils paient de rake, plus ils ont de valeur. Ils ne peuvent pas être plus dans l’erreur. Alex Scott – Mars 2016.


C’est par cette phrase qu’il introduit son propos, citant deux interventions débattues sur le forum anglo-saxon 2+2**. S’il reconnaît que le cloisonnement des marchés et le niveau des joueurs plus élevé sont des arguments fondés, il souhaite démontrer que la notion d’écosystème du poker est non seulement un véritable concept, mais surtout une ‘putain d’évidence’ selon ses propres termes. Revenons à son exemple : non seulement Satan a affecté la profitabilité du bar même s’il a payé une note conséquente, mais il a même coûté de l’argent par sa seule présence.


Credit photo : twitter


A. Scott détaille la principale manière d’affecter la valeur d’un autre joueur : perdre ou gagner de l’argent contre lui. Perdre revient à augmenter le pouvoir de dépense d’un adversaire, et donc le rake potentiel qu’il peut générer. A l’inverse quand on lui prend de l’argent, son potentiel se réduit. MPN a ainsi développé le système ‘True Value’ depuis 2012 qui consiste, parmi d’autres critères, à classer les joueurs des plus gros gagnants au plus gros perdants, attribuant à ces derniers une valeur plus élevée.  Pour le réseau, ils ont un intérêt plus important que le seul rake qu’ils ont généré : ils ont permis d’augmenter le potentiel de rake des autres joueurs. Microgaming utilise cette méthode d’évaluation pour rémunérer ses rooms partenaires, sans impact sur les joueurs eux-mêmes.

Une autre façon d’augmenter la valeur d’un joueur de poker : effectuer un dépôt. Outre le propre pouvoir de dépense du déposant, c'est la liquidité totale du pool de joueurs qui est plus importante. Cet argent peut alors circuler entre joueurs, avec une partie se transformant en commission. Plus il y a d’argent disponible à miser dans la liquidité, plus les rooms peuvent prélever de commissions, d'où la multiplication des bonus de redeposit à la moindre occasion. Bien entendu, l’inverse est vrai : en retirant de l’argent, un joueur affecte négativement le pouvoir de dépense de l'ensemble de la liquidité. 

Là où le sujet se complique selon A. Scott, c’est que le fait de souligner que les joueurs perdants et les joueurs déposants sont bien plus importants que leur rake ne le laisse supposer, cela ne signifie pas que les joueurs gagnants et les joueurs qui retirent sont nocifs à l’écosystème du poker.

La valeur réelle d’un joueur pour un site dépend donc du rake qu’il génère mais aussi de l’impact qu’il a sur les joueurs qu’il rencontre.
« Lors d’une partie en Heads Up où vous générez 10€ de rake, votre valeur ne se résume pas à cette somme. Si vous avez gagné en à peine quelques coups, et cerise sur le gâteau, vous avez traité votre adversaire d’idiot dans le chat, le faisant fuir pour le reste de la journée, vous avez réduit sa valeur de 20€ du rake qu’il aurait pu créer. Vous avez payé 10€ de rake en jouant, mais votre valeur globale pour la room est de -10€. Vous avez coûté de l’argent à la room en jouant cette session, vous êtes devenu le Satan de la fable ! ».
En 6-handed, la valeur réelle sera la somme de la valeur directe (le rake contribué par le joueur) et du montant net de l’impact sur l’ensemble des adversaires joués (positif sur certains, négatif contre d'autres). Alex Scott ne s’arrête pas là, listant plusieurs façons d’impacter la valeur des autres joueurs :


Selon lui, les méthodes d’évaluation actuelles de la valeur d’un joueur de poker ne prennent pas tous ces éléments en considération et, de fait, en donnent une image erronée. La deuxième partie de la fable s’explique ici : si Daniel bat ses adversaires aux tables, il sait en revanche les accueillir, leur faire sentir qu’ils sont les bienvenus. Il est capable de passer du temps à discuter de stratégie poker ou de ce qu’est la vie de joueur pro. Il aime voir des flops et joue donc beaucoup de coups rendant les tables fun, l’affronter est toujours un moment sympa, il ne triche pas, ne bumhunt pas. Bon nombre de ses adversaires peuvent même déposer pour jouer contre lui. Les systèmes d’évaluation, y compris le True Value de MPN, retiendrait qu’il vaut moins que le rake qu’il a généré puisqu’il gagne de l’argent, réduisant donc le potentiel de dépense de ses adversaires. Sans compter qu’il ne dépose jamais et retire même ses gains de temps en temps. Pourtant, il vaut tellement plus que cela :
"Daniel est exactement le genre de joueurs que toutes les rooms se battent pour avoir."



Son dernier argument, mais non des moindres, concerne le rake. Le niveau auquel il est placé est un autre facteur qui influe sur la valeur d’un joueur. Pour caricaturer, si une room prélève 100% de rake, plus personne ne joue, et si elle prend 0%, les tables sont pleines mais elle ne gagne pas un centime. L’objectif d’une room est donc de positionner le curseur sur le pourcentage de rake optimal pour tirer un maximum de valeur d’un maximum de joueurs.



Alex Scott n’est pas un philanthrope. Il conclue son billet en se disant "extrêmement choqué par le comportement récent de certains de nos concurrents, qui va totalement à l’encontre de ce que je pense être bénéfique pour le poker." Le tacle envers Pokerstars fait écho à un billet d'Eric Hollreiser, Vice President of Corporate Communications d'Amaya Gaming, deux jours avant sur le blog d'entreprise de l'opérateur : il y annonçait une hausse de rake tout en affirmant que la room restait la moins chère du marché. Pour appuyer son propos, Pokerstars s'appuyait sur un médiocre graphique le comparant à ses concurrents. Seul problème, MPN n'y apparaît même pas. Le hasard n'a pas sa place dans le monde des affaires !

Qu'il ait écrit par vengeance ou par souci d'information, sa démonstration a le mérite d'illustrer la stratégie des rooms de poker ces dernières années. Steve Ruddock, chroniqueur et consultant pour Online Poker Report ou USPoker.com, s'est également emparé du sujet dans un article intitulé "Le rake que vous payez ne détermine pas votre valeur", publié le 28 Avril sur parttimepoker.com.
Des sujets à lire pour tout joueur de poker qui veut tirer un revenu du poker. A lire, assimiler et ... accepter, que l'on aime ou pas. On notera d'ailleurs qu'il n'est question que de poker, et que le phénomène est encore plus vrai, les opérateurs diversifiant leurs activités pour transformer les bankrolls de leurs clients en commission : jeux de casino, paris sportifs, ...


soxav


* "Comment estimer le valeur d’un joueur de poker ?"



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