Le marché du poker n’a que peu d’indicateurs au vert. Alors quand
il en est un qui semble aller moins mal, tout le monde s’en empare. Invité de BFM Business fin juin pour sa première sortie télévisuelle 2014, le fraîchement nommé président de
l’ARJEL, Charles Coppolani, n’a pas manqué l’occasion. Clairement peu à l’aise
sur le plateau, il nous a gratifié d'un « On peut travailler sur les tournois notamment, qui
attirent les joueurs. Et c’est quelque chose qui serait assez
intéressant. » Il faut dire que quelques jours plus tard, il annonçait les chiffres du deuxième trimestre. La progression des tournois de 6%, qui vient
confirmer un +9% au premier trimestre, y est la seule bonne nouvelle face à la
baisse chronique du Cash Game depuis trois ans.
Quand il parle de travailler sur les tournois, M. Coppolani démontre
qu’il est visionnaire… Pour preuve, sa prestation télévisuelle de
grand standing a lieu quelques jours après les Summer Shots de Winamax, les
mini FPC de PMU / Party Poker, en plein Kart Series d’Everest Poker, et à
quelques jours des Micro Series de Pokerstars. L’Arjel peut dormir sur ses deux
oreilles : les opérateurs n’ont pas attendu sa nomination pour travailler leur
« intéressant » business tournoi !
Lors du lancement du marché cloisonné en 2010, Pokerstars et
Winamax ont acheté 75% de parts de marché en budgets publicitaires et bonus
divers, les joueurs raillaient un fisc qui ne pourrait jamais les atteindre et
le Cash Game était en mode Cash machine. Partie finalement limitée de l’offre,
les tournois reposaient sur les grilles
de MTT réguliers. C’est Pokerstars qui a montré la voie avec le FCOOP (French Championship Of Online
Poker) en Octobre 2010, puis le SCOOP (Spring
Championship of Online Poker) fin mars 2011. Le grand
rival Winamax se lançait en Mai 2011 avec ses Series éponymes, dont le succès ne se dément pas aujourd’hui encore. Opérateur confidentiel, PKR faisait également partie des précurseurs.
Depuis, ces événements ont été démultipliés par ces
opérateurs, et copiés par les plateformes et rooms challengers (French Poker
Championship, Summer Shots, Poker Master Festival, Barrière poker Series, PMU
Series, Unibet Super Series, Micro Series, Spring Series…), agrémentés de
variantes diverses (Omaha Series de Pokerstars, Trilogy Winamax, Soldes
d’iPoker, Mini FPC, …) et même en mode Freeroll Series. Les grilles des
opérateurs ont également été optimisées entre nombre de tournois, variantes,
prizepools garantis. Le segment tournoi est ainsi passé de 549M€ de mises sur le
premier semestre 2011 à 770M€ (source Arjel) sur la même période cette année.
Une progression de 40% pour un marché en dépression où de moins en moins de
comptes sont actifs.
Pourtant, M. Coppolani ne devrait
pas se réjouir trop vite. Cette belle progression s’est d’abord essentiellement
effectuée en 2011/2012 (+25%). En 2013, le soufflé était complètement retombé
(+0.5% au premier semestre et 4,5% sur l’année complète), avant de se relancer
légèrement (+8.5% sur les deux premiers trimestres) cette année. Ce
ralentissement est d’autant plus inquiétant que dans le même temps le recours
aux « Series » est devenu plus que systématique. On décomptait ainsi cinq
opérations de ce type en 2011, douze en 2012, et dix-sept en 2013, toutes rooms
confondues. Chiffre presque égalé sur les seuls six premiers mois de cette année
(13).
Les opérateurs se livrent un
véritable combat de chiffres et d’image dans lequel il n’est pas question de
laisser son concurrent direct occuper l’espace. Du côté des
« petits », le match se joue entre les plateformes Party et iPoker. Quand
PMU annonce ses PMU Series IV en février, il ne faut que quelques jours à
iPoker pour dégainer ses Winter Sales sur la même période. Des Minis FPC chez
PMU et Party début juin ? Des Kart Series chez Everest Poker dans la
foulée. Chez les leaders du marché, le marquage est là aussi à la
culotte : les Summer Shots de Winamax ont vu le jour en 2013 quelques
jours après l’annonce des Micro Series de Pokerstars. Dans quelques jours, auront
lieu leurs Million Events de rentrée, comme par hasard sur le même weekend. Si
cela profite aux joueurs qui se voient ainsi proposer des tournois aux
garanties alléchantes, cela permet de verrouiller la présence d’un maximum de
joueurs et des regs étrangers qui ne viennent qu’à ces occasions jouer sur le
marché hexagonal.
La fréquentation de ces tournois
plafonnant, la croissance sur ces opérations commerciales passe principalement par
toujours plus d’Events. Lors des SCOOP 2014, le field par Event était en moyenne
de 3116 joueurs (48 tournois), en recul de plus de 10% sur l’année précédente. Des
Events classiques comme le 10€ 1R/1A (passé sur deux jours) ou le premier 100€
de la série ont vu leur field fondre de 10%, tandis que les tournois PLO 6max
et HU dévissaient de 15%. Même son de cloche à la concurrence lors des
dernières Winamax Series en PLO 10€ Rebuy 6-max, garantie dopée de 25% mais field en
recul de 9%. Le 6-max 20€ initial enregistrait 4% de joueurs en plus sur la
ligne de départ alors que la garantie a bondi de 25%, tout comme l’Event Flight
10€ sur la semaine (Garantie +17%, Field +3%). D’une année sur l’autre, la
fréquentation par Event des WS IX affichait une hausse de seulement 2%.
Afin de contrer cela, de 2011 à
2014, Pokerstars a augmenté le nombre de tournois de ses SCOOP et FCOOP de 50%, et ainsi afficher des garanties de plus de 4 millions d’euros
(2,5M€ et 1,5M€ respectivement pour les premières éditions). Encore plus actif,
Winamax propose désormais trois Series par an (une quatrième en fin d’année ?). Les 76 Events (six millions d’euros garantis) de la Xe édition
en Septembre n’ont plus rien à voir avec la 'Series' inaugurale de mai 2011 où 24
Events garantissaient 1 million d’euros.
Trois fois plus d’events, six fois plus de garantis et un Main Event six fois
mieux doté. Pour cela, ils recourent à plusieurs artifices : des centaines
de tickets offerts via des freerolls reload, intégration de tickets dans les
plus gros gains de leurs tournois réguliers en tickets d’entrée pour leurs Main
Event plus d’un mois avant le fameux tournoi (12 Août sur tous les gains
supérieurs à 1500€ des principaux MTT de la grille classique, Juillet pour le
Sunday Million de Pokerstars via les Sunday Warmup, Minuit Express, Classico, …).
Party Poker s’apprête à lancer ses FPC, avancés au 27 Septembre avec un nombre de
tournois revu fortement à la hausse. Cette 'Series', traditionnellement en
décembre, occupe la case de rentrée des PMU Series victime d’une édition
catastrophique en mars avec plus de 20K d’overlay et laisse imaginer un créneau
pour de nouveaux Mini FPC par exemple avant la fin de l’année.
L’avantage de ces événements est double : générer
un boost de chiffre d’affaires pour l’opérateur et s’adresser à toutes les clientèles des rooms.
Les joueurs occasionnels, récréatifs, réguliers, semi-pros, pros, … Tous y trouvent
leur intérêt : l’adrénaline du gros tournoi, des structures attractives, l’edge
éventuel sur le reste des participants, le petit logo aux tables. Avec, pour
tous, en réalité le même mécanisme : le rêve du « one time », ce gros
coup pour un investissement limité, surtout sur les tournois à un million d'euros garantis, où le vainqueur encaisse plus de 150.000€.
Le ROI de tels
tournois est indiscutable pour les joueurs réguliers, mais un problème de
taille se pose : ils siphonnent la liquidité globale du marché. En un
weekend de janvier ou d’avril, environ 1,2M€ ont disparu dans les poches d’une
poignée de joueurs sur les Events à un million de Winamax et Pokerstars. Pire,
sur chaque tournoi d'une 'Series', 50% du prizepool est réparti sur les sept premiers joueurs, et près de 25% sur les deux premiers. Sur une ‘Series’ à six millions d’euros
Garantis, imaginez la liquidité qui disparaît en quelques jours. Si cet aspect n’a
pas de sens pour un occasionnel ou un récréatif, il devrait pourtant
interpeller les regs. Pour organiser son Event Flight 10€, Winamax supprime la
Fièvre de sa grille, le tournoi « rentrant
en concurrence avec de trop nombreux tournois à la même heure et au même BI »,
d’après guignol sur Clubpoker. Et voilà comment on crée un MTT 10€ avec une
garantie de 175.000€ et 20762 participants en remplacement de 7 MTT réguliers. Mais la semaine précédente, ces sept 'Fièvre' représentaient 176.000€ Gtd / 24428 joueurs, et la semaine suivante 190.000€ Gtd/ 2278
joueurs. Soit sept fois 12.5K€ partagés entre cinq joueurs plutôt qu’une fois
73K€ partagés entre quatre. Dans le premier cas, ils seront très souvent
réinvestis alors que dans le second avec des gains individuels supérieurs à 10K€, il est
fort probable qu’une majeure partie disparaisse. Ne serait-il pas plus
judicieux d’envisager un Event WS à 100K€ Gtd en maintenant la Fièvre ?
Les rooms tentent également de limiter la perte
de liquidité en proposant des bonus « redeposit ». A raison de 200€
de dépôt moyen trimestriel (source Arjel 2013), il faut trouver 15000 déposants
pour reconstituer la perte. Hors regs, bien entendu, dont le dépôt est temporaire, et cashout dès que
le bonus est clear. Avec son bonus « Jackpot », mis en place lors des
Summer Shots, Winamax a ainsi limité l’effet d’aubaine pour ces joueurs.
Contrairement à la légende
urbaine, les vainqueurs de grosses sommes ne se précipitent pas dans la foulée
pour spew leur gain en NL1000. La plupart ne change même pas leur mode de
jeu : Depuis leurs victoires en avril, Loboter (Vainqueur Million Event
SCOOP) affiche un buyin moyen de 75€ inchangé tandis que ROM7025 (Vainqueur Million
Event Winamax Series IX) a participé à près de 300 tournois pour un Buyin moyen
de … dix-sept euros (seize euros avant son succès). Un joueur sur le podium de
ce même tournoi reconnaît avoir retiré 98% de ses gains. A part un
très rare Highroller, ses sessions sont restées les mêmes. Et que dire quand
c’est un reg étranger venu spécialement pour ces tournois …
Evolution trimestrielle des mises CG et Tournois (source ARJEL)
et Series / Million Events depuis 2010.
Au final le risk reward n’est pas
forcément en faveur du reg dont l’objectif est de tirer un profit sur son
talent par rapport à ses adversaires, donc sur un volume de jeu important, pour contrer la variance. Ces
trous d’air se ressentent forcément sur la liquidité : prizepools des
tournois réguliers en baisse, garanties des MTT classiques frileuses. Moins d’argent dans la liquidité, moins
d’argent joué. Même s’il est difficile de prouver un rapport direct et que
d’autres facteurs entrent en ligne de compte, comment ne pas noter les tendances
opposées entre courbes de fréquentation Cash Game et développement de ces
tournois depuis le lancement du marché régulé ?
Début septembre, à l’occasion de l’overlay massif du Seminole Hard Rock Poker Open, SuperCaddy s’interrogeait sur Clubpoker de « la pertinence de la course effrénée que se mènent les
organisateurs de tournois pour proposer des dotations garanties de plus en plus
importantes, souvent à grand renfort de jours 1 et de re-entries » . C’est
vraisemblablement encore plus vrai online, les rooms en ayant besoin pour
générer une croissance de chiffres d’affaires, amplifiant toujours un peu plus
la fuite en avant ... mais jusqu'à quand ? Les joueurs ne devraient-ils pas préserver le marché en participant massivement aux 'Series' de toutes les rooms, en exigeant la restriction aux seul joueurs français, en militant pour une limitation des gains et des prizepools ?
soxav
Très bon article.
RépondreSupprimerPointu le gars !!!
RépondreSupprimerTrès pertinent
RépondreSupprimerThx Soxav, très interessant!!
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