jeudi 30 octobre 2014

SPIN&GO : la leçon de D. Negreanu

A quelques semaines d’intervalle, deux personnages très influents de la sphère poker ont démontré qu’en termes de communication, la forme peut prendre le pas sur le fond. D’un côté David Baazov, PDG d’Amaya Gaming Group, de l'autre Daniel Negreanu, joueur professionnel membre de l’écurie Pokerstars. Le 14 Août 2014, lors de la diffusion des résultats du deuxième trimestre 2014, le premier déclarait à propos de Rational Group, maison mère de Pokerstars et Full Tilt Poker rachetée il y a quelques mois, « l’entreprise a une clientèle fidèle et récurrente, attirée par l’importance qu’elle accorde à la protection des joueurs et à l’intégrité du jeu, et aussi par les tournois, les formats de jeu et les logiciels innovants. » Sans faire plus de vagues, notamment de la case où il plaçait le Cash Game dans tout cela. Le 10 Octobre 2014, à l’occasion d’un sujet sur le forum anglo-saxon2+2, sous son pseudo 'DNegs', le second jetait un rocher dans la mare :

« Vous savez ce qui tue le jeu et détruit l’écosystème du poker plus que tout, les gars ? Les joueurs gagnants ! »

Le rapport entre les deux ? Le lancement sur la plateforme Pokerstars.com des Spin&Go, un des fameux formats de jeu innovants auquel D. Baazov avait fait allusion quelques semaines plus tôt. Sur son blog Tiltbook, le joueur MASUR0N1KE décrivait sa vision de l’impact qu’aurait ce format sur le segment SnG de la room. Il annonçait une pétition à venir, relayée sur le forum 2+2, où elle ne suscitait pas un engouement démesuré, avec 4 pages seulement en un mois. Jusqu'à l’intervention de quelques lignes du pro Canadien qui enflammait les discussions avec plus de 800 messages publiés en dix jours. En termes de communication, on appelle cela un buzz.
Outre cette accroche racoleuse, cette intervention a le mérite de remettre les choses en perspective, y compris pour nous joueurs français, prisonniers de notre autarcie pokeristique. Le poker mondial fait face à une crise durable : la régulation des marchés se poursuit à rythme soutenue (le Royaume-Uni dans quelques jours, la Russie attendue pour Juin 2015 selon certains professionnels du secteur, les Pays-Bas, ...). Cela signifie d’abord une fiscalisation et donc des revenus amputés de toutes les taxes, impôts, prélèvements, et autres TVA que les états mettent en place. Phénomène amplifié par les cloisonnements en série qui entraînent une baisse du pool mondial. Si l’on ajoute un niveau général logiquement en hausse, les rooms ont surtout du mal à renouveler la population essentielle qui tend à disparaître : le joueur qui cash in. Il y a dix ans, la machine tournait à plein régime à coups de bonus et offres de rakeback pour faire marcher la pompe à rake et courir les regs. Aujourd’hui, les regs jouent toujours mais la liquidité diminue inexorablement, les joueurs perdants (occasionnels, récréatifs ou regs) se détournant d’un jeu où ils perdent de plus en plus vite.

Daniel Negreanu va même plus loin : « Croyez-moi, vous ne voulez pas que je sois un jour en charge du système de fidélité : je donnerai les bonus exclusivement aux joueurs PERDANTS ! ». Tollé chez les joueurs réguliers qui revendiquent une juste rétribution à leur contribution au chiffre d’affaires des opérateurs. Pourtant, le pro Pokerstars ne parle que des joueurs gagnants, qui vivent des joueurs faibles que la room recrute et/ou fidélise à prix d’or. Une partie de ces gains est ensuite retirée, ce qui est donc contraire à l’intérêt de la room et fait baisser la liquidité. Dans ces conditions à quoi bon lui offrir en plus des bonus ? Pour autant, tous les joueurs réguliers ne sont pas gagnants, bien au contraire. Beaucoup des joueurs qui s’insurgent ne seraient donc pas forcément concernés, notamment la kyrielle de "rakeback pro".

Le manque de pragmatisme et de stratégie à moyen / long terme : un leak important de la communauté joueurs.

Il y a effectivement matière à réflexion. Que le discours plaise ou non, les opérateurs n'ont pas vocation à entretenir des salaires à des gens qui ne comptent pas parmi leurs salariés. Elles ont intérêt à trouver le meilleur moyen de faire tourner une liquidité qui grossit. Ce que pointe avant tout D. Negreanu, c'est l'incapacité des joueurs à être capable de remettre en question leurs évidences, envisager des concessions pour conserver les avantages qui leur sont réellement dus, être proactifs. Ce pragmatisme et cette vision, les opérateurs ne se gênent pas pour les afficher. Pokerstars n'est plus la room de poker que nous avons connue. Le rachat par Amaya Gaming a dessiné un changement total de stratégie où le poker et le service client laissent la place au gambling et au cost killing. Avant-hier les jeux de casino sur Full Tilt et pokerstars.es, hier le Spin&Go, aujourd'hui les coûts de change sur le .com. Demain ... ?
Même notre champion local a compris que le seul poker ne permettait pas d'optimiser le revenu à tirer d'une base clients. En trois semaines de juin, Winamax annonçait 5% de part de marché en paris sportifs, en s'appuyant sur un portefeuille de joueurs poker et sur le principe simplissime de bankroll commune aux deux activités. Sans aucune communication, il serait naïf de croire que les revenus tirés des paris sportifs concernent des nouveaux joueurs. Une partie des fonds poker est partie ailleurs, il faut donc trouver des solutions pour faire deposit et revenir des clients occasionnels : Go Fast, Tables incognito, bonus reload Winamax Series, activité commerciale soutenue autour des pros maison : Flying Expressos justement avec volatile38, Top of The Pok, Check Up de MIK.22. L'objectif de la room était double : optimiser son revenu par client sur le portefeuille existant, et empêcher ses clients poker de parier chez d'autres opérateurs pour la plupart concurrents sur le segment poker. Dans tous les cas, le recrutement de nouveaux prospects ne jouant pas au poker et l'apport de liquidités supplémentaires restent très hypothétiques.

Les joueurs doivent adopter une approche identique aux autres acteurs du marché : économique. En devenant force de proposition, ils seraient plus à même d’encadrer les changements, accompagner les stratégies sans en subir uniquement les effets négatifs comme dans le cas des Spin & Go.  Pour cela, il faut dépassionner la vision du poker. A l'image de MASUR0N1KE, écrivant assez naïvement qu’il avait toujours vu Pokerstars « comme la seule room vraiment intéressée par ses clients qui faisait tout pour le poker ». Les joueurs français apprécieront en se rappelant la modification du système de fidélité en catimini un soir de fin décembre, les modifications des règles de tournois en cours (American Airlines en mai, tournoi Flights en juin), les contreparties abusives en termes de session de droits d’images lors des live, ...




Lutter contre le format Expresso n'est pas une option, car ils apportent un volume indéniable, un vecteur de recrutement et un axe de communication porteurEn revanche, exiger des contreparties au lancement des ersatz Twister iPoker et Spin&Go Pokerstars ne serait pas totalement dénué de sens : sur le segment Hyper Turbo SNG shorthanded, le plus proche de ces variantes, les rooms concernés infligent à leurs joueurs une double peine : ils siphonnent les SnG habituels sans proposer de contreparties. Sur les Hyper 10€, Pokerstars prélève ainsi un rake de 8.70%, qui monte à 10% sur Everest, Unibet ou Turbo Poker. En comparaison, Winamax prélève 5,40%, soit 38% de moins que Pokerstars et 46% de moins que les skins d’iPoker !
Même en Hyper HU, le leader français reste mieux disant : 4,70% contre 5% sur iPoker et 6% sur Pokerstars. Pour rappel, la room française paye la TVA ... elle !

Dans un marché en mutation, les acquis et les dogmes n'existent plus. Les opérateurs vont tenter de limiter toujours plus ce que les réguliers monopolisent sans véritable légitimité. A ces derniers de devenir force de proposition, notamment sur des sujets proches, avant que les rooms ne le fassent de manière unilatérale :
La poignée de joueurs qui accaparent les challenges et leaderboards sont contre-productifs pour l’écosystème et pour eux-mêmes. Ils feraient mieux d’obtenir la contrepartie que leur volume mérite et laisser ces promotions à leur véritable objectif : attirer et fidéliser les joueurs occasionnels, récréatifs sur lesquels ils sont sensés gagner de l’argent aux tables.
Les rake races ne peuvent permettre aux affiliateurs de faire réellement le métier d’apporteur d’affaires si les mêmes joueurs trustent toujours les places payées.
L’accès aux bonus reload à l’occasion des Series de tournois n’est pas une évidence économique. Leur objectif est de compenser la liquidité qui disparaît dans la bankroll de quelques gagnants de gros Events, pas d’offrir un rakeback supplémentaire aux regs. C'est pourquoi les rooms limitent les montants de ces bonus ou créent des variantes, tel le Bonus Jackpot lors des Summer Shots Winamax.
Les freerolls quotidiens maintiennent une frange de la population poker dans la gratuité. Limiter leur accès aux joueurs perdants, déposants, sur une durée limitée permettrait d'augmenter la liquidité sur l'offre payante.

Les regs sont importants, mais plus aussi indispensables qu'ils se le laissent croire : le joueur faible appelle le reg, l'inverse n'est pas vrai. En ciblant le premier, les rooms font coup double. Daniel Negreanu, lui, n'a fait que dire tout haut ce à quoi plusieurs opérateurs réfléchissent déjà, et pas uniquement sur le .com. Libre aux joueurs, maintenant, de n'être que spectateursOu acteurs.


soxav

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