Je voudrais saluer aussi les journalistes de la presse
spécialisée, mais aussi généraliste, qui je l’espère donneront à ce colloque un
écho dans le débat public. Ma présence
parmi vous aujourd’hui est aussi l’occasion de rappeler qu’en France, le Secrétaire d’État au Budget
a parmi ses responsabilités la régulation des jeux. Il s’agit là d’une
compétence peu connue de nos concitoyens, alors qu’elle concerne la vie
quotidienne de millions de français qui chaque jour achètent un jeu de
grattage, payent un pari sur une course hippique, jouent au loto ou se connectent sur les sites agréés par
l’Arjel. J’attache pour ma part un intérêt particulier à ce volet de mes
responsabilités ministérielles puisqu’il touche à des enjeux tout à fait
essentiels : des enjeux de finances publiques bien entendu, les sommes qui
ont été évoquées sur le produit, la Française des Jeux, la fiscalité sur les
jeux en général. Mais aussi d’ordre public : il a été évoqué la question
du blanchiment , qui est un sujet important et on s’aperçoit d’ailleurs y
compris dans les questions concernant le terrorisme ou le djihadisme que
certains véhicules sont utilisés par des personnes et que les recoupements, les
informations que l’on peut avoir entre les différents administrations qui
travaillent aussi à ces questions – je pense aussi à Tracfin- montrent que des
signaux faibles sont souvent décelés et que l’addition de signaux faibles fait
parfois des alertes fortes.
Des enjeux aussi d’ordre social : chacun a vu,
observé des drames qui ont vu des familles, des individus et parfois des mineurs suite à ces comportements
excessifs. Des enjeux de santé public concernant l’addiction qui sont des sujets qui nous préoccupent bien
entendu et que nous devons tous avoir en tête de façon à avoir une vraie
politique globale, équilibrée entre les différents centres d’intérêt si j’ose
dire autour de cette question.

Je voudrais d’abord donner modestement un rapide bilan après
cinq années de l’ouverture du marché des jeux en ligne. Depuis sa création en
2010, l’Arjel a joué un rôle primordial dans la construction d’un encadrement
efficace et d’une offre de jeux équilibrée et sécurisée. L’Arjel contribue
aussi à la réflexion sur l’évolution économique et le développement du secteur.
Ce colloque d’ailleurs en témoigne. Elle est engagée, j’insiste, car c’est
l’essentiel, dans la lutte contre l’offre illégale. C’est une tâche
techniquement et juridiquement ardue, j’y reviendrais dans un instant, mais
indispensable pour préserver le modèle économique des opérateurs agréés et
surtout pour la sécurité et la santé des joueurs. Je tiens donc à remercier son
Président, Charles Coppolani, pour son implication de tous les instants à la
tête de cette institution
L’offre légale est désormais bien installée sur le marché
français. A ce jour, L’Arjel agrée seize opérateurs de jeu titulaires de
vingt-neuf agréments. En 2014, selon l’enquête publiée au printemps par
l’Observatoire des Jeux, environ deux millions de français ont joué sur
internet, soit 7,3% de la population des joueurs. Le Produit Brut des Jeux en ligne
s’est élevé à 725 millions d’euros. Il est en hausse de 5,6% par rapport à
2013. Les dynamiques d'évolution de l’activité sont néanmoins très contrastées
selon les filières. On assiste à l’extension des paris sportifs, notamment lors
des grands événements comme la Coupe du Monde, mais à la stagnation voire le
repli du poker et des paris hippiques. L’offre illégale demeure présente même
si elle représente désormais moins de 10% du secteur en concurrence selon
l’Observatoire des Jeux qui a mesuré ce phénomène à l’été 2013. Cette même
étude a néanmoins mis en évidence que la fréquentation des sites illégaux
demeurait non négligeable, concentrées notamment sur les jeux de casino
(machines à sous et autres jeux) exclus du champ de l’offre ouvert en raison précisément
de leur dangerosité. La prévalence du jeu problématique est en effet la plus
élevée sur ces activités ; près du tiers des joueurs en ligne ayant joué à
des machines à sous ont une pratique excessive.
C’est la raison pour laquelle
un volet jeu a été intégré à la loi relative à la consommation de 2014. Il
accorde à l’Autorité des moyens juridique supplémentaires, notamment dans la
lutte contre l’offre illégale. Cette capacité d’agir a ainsi été étendue à
toutes les formes de jeux d’argent en ligne et à la publicité pour ceux-ci.
L’offre légale a été sécurisée pour ancrer l’idée que les joueurs peuvent
s’inscrire en toute confiance sur les sites des opérateurs agréés alors qu’ils
ont tout à craindre en termes de fraude ou de manipulation s’ils s’aventurent
sur des sites illégaux. Ainsi, les sommes déposées par les joueurs sur les
sites agréés sont désormais garantis par l’opérateur afin de les prémunir
contre la perte de leurs avoirs en cas de défaillance.
Réguler le marché du jeu
en ligne repose également sur la responsabilisation des opérateurs autant que
des joueurs. L’étude 2015 de l’Observatoire des jeux que je viens d’évoquer confirme l’importance cruciale de
la question du jeu responsable pour l’ensemble des segments du jeu, y compris
pour les jeux en ligne qui comportent des risques d’addiction spécifiques
compte tenu de sa disponibilité permanente. Sur un échantillon très large de
seize mille individus de 15 à 75 ans, l’enquête met en évidence une forte
augmentation de la prévalence du jeu par rapport à la précédente étude menée en
2010. Elle atteint désormais 56%, soit une hausse de dix points. Cette hausse
de la prévalence n’est pas en soit problématique dès lors qu’elle repose sur le
modèle de jeu que nous souhaitons promouvoir : un jeu non intensif,
ludique, récréatif, modéré et responsable. Or, l’étude montre que notre modèle
n’est pas exempt de fragilité. Si le jeu excessif concerne une population
limitée et stable d’environ deux cent mille personnes, le jeu à risque modéré
constitue un sujet de préoccupation croissant. Il concerne aujourd’hui 2,2% de
la population, contre moins de 1% il y a cinq ans. Une partie de cette hausse
peut s’expliquer certes par une amélioration de la méthodologie qui permet un
repérage plus efficace mais la réalité du phénomène ne peut être occultée.
L’Arjel est en première ligne pour lutter contre cette tendance. Les
modérateurs imposés aux joueurs en ligne et les bonnes pratiques diffusées par
l’Arjel ont permis de faire reculer de 8,3% à 6,6% entre 2010 et 2012 la
proportion de joueurs excessifs sur internet. La mise en ligne du site internet
d’autoévaluation
Evalujeu par l’Arjel en avril dernier est une nouvelle brique
apportée à cet édifice. Ceci constitue à la fois un outil
d’auto-sensibilisation
et un instrument d’objectivation du risque éventuel pour l’entourage des
joueurs. D’autres succès indéniables sont également à porter au bilan de ces
cinq dernières années, notamment en ce qui concerne l’intégrité du jeu. Depuis
cinq ans, aucune anomalie n’a été détectée sur les compétitions sportives en
lien avec la prise de paris sportifs en ligne. Patrick
Kanner8 vous a sans doute
présenté les initiatives prises récemment en matière de lutte contre la
manipulation des compétitions sportives. La France a signé le 18 Septembre 2014
la convention du Conseil de l’Europe relative à la lutte contre la manipulation
des compétitions sportives qui prévoit notamment la création d’une plateforme
nationale chargée de collecter et transmettre des informations pertinentes.
L’Arjel et la Française des Jeux ont signé une convention instaurant un dispositif
de signalement de paris sportifs atypiques ou suspects afin d’améliorer la
coordination entre le régulateur et l’opérateur. Avec le recul tant sur la
lutte contre l’offre illégale que sur la responsabilisation des opérateurs et
des acteurs sur l’intégrité du jeu, je crois pouvoir dire que l’Autorité
remplit son rôle efficacement et sait approfondir et renouveler ses outils.

Le gouvernement a lui aussi fait sa part du chemin pour
promouvoir le jeu responsable et rendre le marché des jeux légaux plus
attractif. J’ai rappelé les mesures prises dans le cadre de la loi
consommation. Mais je souhaite que nous allions plus loin. Premièrement, les
missions de l’Arjel telles que fixées par la loi doivent être élargies afin d’y
inclure explicitement la lutte contre le jeu excessif ou pathologique. Non pas
que l’Arjel soit aujourd’hui inactive dans ce domaine comme le prouve le
développement du site Evalujeu. L’élargissement de ses missions, qui revêt
évidemment une portée symbolique, aurait également des conséquences concrètes.
Les données transmises par les opérateurs pourront être utilisées à des fins de
santé publique, pour le repérage des joueurs problématiques en particulier, et
non plus seulement comme aujourd’hui dans le but de contrôler la régularité des
opérations et de prévenir la lutte contre la fraude ou le blanchiment. L’Arjel
me semble particulièrement apte à opérer ce repérage préventif : l’analyse
doit en effet porter sur l’activité globale de jeu d’une personne auprès de
l’ensemble des opérateurs dont elle est cliente, et non uniquement auprès de
tel ou tel opérateur agréé pris séparément. Son action en la matière respectera
naturellement la législation sur les données personnelles. Elle pourra
utilement s’appuyer sur les structures de recherches et d’aide aux joueurs
comme c’est déjà le cas sur le site d’autoévaluation
Deuxièmement, dans un souci de prévention du jeu excessif,
les joueurs de poker doivent bénéficier de modérateurs de temps de jeu pour
compléter les modérateurs classiques sur les mises. Plusieurs études récentes
ont en effet démontré l’efficacité de tels dispositifs souvent supérieurs
encore aux limites monétaires.
Troisièmement, les procédures judiciaires que
mène l’Arjel à l’encontre des opérateurs illégaux doivent être simplifiées pour
en réduire les délais et les coûts, et en accroître d’autant l’efficacité. Il
s’agit d’autoriser l’Arjel à n’agir qu’en direction des fournisseurs d’accès
internet sans avoir à agir simultanément contre l’hébergeur. En effet, cette
contrainte est actuellement complexe à mettre en œuvre lorsque l’hébergeur, et
c’est presque toujours le cas, est implanté hors de France. Et surtout elle
s’avère trop souvent vaine car le site illégal peut aisément riposter en
changeant tout simplement et très rapidement d’hébergeur
Quatrièmement, l’Arjel doit pouvoir conclure des accords
avec ses homologues européens en vue de permettre l’organisation de parties de
poker communes et donc co-régulées à la fois par l’Arjel et une autorité de
régulation partenaire. La possibilité d’ouvrir des tables européennes
contribuera à assécher l’offre illégale grâce au renforcement des liquidités et
donc de l’attractivité de l’offre légale dans un cadre parfaitement sécurisé
puisque cette mesure a été travaillée avec Tracfin et les services du Ministère
de l’Intérieur. D’autres mesures me paraissent envisageables. Je souhaite que
les parlementaires qui s’impliquent sur ces sujets, à commencer par vous cher
C. Hutin, puissent y travailler en lien avec l’Arjel et les porter le moment
venu. Il pourrait s’agir notamment de confier à l’Arjel un rôle de médiation
entre joueurs et opérateurs. Rôle que l’Autorité a développé déjà de façon
informelle en tant que facilitateur, mais qu’il est sans doute opportun de
conforter. L’encadrement de l’usage de cartes prépayées constitue également une
piste de réflexion pour mieux prévenir les risques de blanchiment. J’ai dit le
moment venu. Bien entendu les interrogations sur « Qu’est-ce que c’est que
le moment venu ? » vont venir. Le vecteur pourrait être la loi
numérique ou le projet de loi « Nouvelles Opportunités Économiques ».
Sans doute le second a-t-il une notion plus économique, mais chacun pourra
remarquer par exemple qu’une mesure concernant les compétitions de jeux vidéo,
qu’on appelle eSports, a été largement soutenue lors de la consultation
publique du projet de loi numérique. Cette proposition démontre, et je m’en
réjouis, l’intérêt de nos concitoyens pour les questions du jeu et du
numérique. Elle soulève en revanche, c’est naturel, un certain nombre de
questions importantes sur le plan de la protection des mineurs, de la lutte
contre l’addiction et le blanchiment, et de la régularité des opérations de
jeux. Elle va donc faire l’objet d’un examen approfondi de la part de mes
services et des équipes d’Axelle Lemaire9 en lien avec l’Arjel. Les deux textes,
véhicules ou vecteurs législatifs, sont tous les deux programmés dans les
prochains mois. Si la date ou le véhicule n’est pas totalement déterminé, je
pense que l’échéance est, certains diront encore trop éloignée, mais en tout
cas, le délai ne devrait pas excéder le premier semestre, si j’ai bien compris,
de l’année prochaine
Un mot enfin sur cet opérateur en ligne un peu particulier
qu’est la Française des Jeux. Si ses activités de paris en ligne relèvent du
champ de l’Arjel, j’assure avec mes services en tant que Ministre chargé du Budget
la régulation de ses activités sous droit exclusif, notamment de la loterie en
ligne. Nous appuyant notamment sur le travail tout à fait remarquable de la
Commission Consultative des Jeux et
Paris, plus connue sous le nom de Cojex, présidée par Madame Gisserot, qui
examine avec soin chaque année le programme commercial, le plan d’action jeu
responsable de la Française des Jeux et
se prononce sur le développement des jeux numériques proposés par l’entreprise.
Des expérimentations de jeux sont également menées de telle sorte que la Cojex
puisse proposer d’en modifier certaines caractéristiques avant leur lancement s’ils posent des
problèmes d’addiction notamment. Dans ce domaine aussi, j’ai souhaité instaurer
un meilleur encadrement pour accompagner
la montée en puissance de ce segment lié
à la numérisation des pratiques de jeux de nos concitoyens. A ma demande, un
travail de clarification du cadre règlementaire est en cours qui doit permettre
à l’entreprise de faire évoluer son offre régulièrement mais aussi à mes
services d’être en capacité d’encadrer au mieux l’offre proposée
Voilà mesdames et messieurs, bien entendu je ne vais pas
passer sous silence le message sur l’assiette de la modeste contribution que
vous êtes amenés à apporter au redressement des finances publiques. C’est un sujet
complexe, sur lequel à titre personnel, je n’ai pas l’intention d’évoluer à
court terme. Pour des raisons de sécurisation aujourd’hui, pour des raisons de
complexité aussi. On sait que la concurrence peut exister, dans le domaine
fiscal elle fait rage de partout. J’observe néanmoins que le secteur se
développe chez nous de façon significative et après y avoir beaucoup réfléchi,
et pas seulement depuis dix-huit mois que j’occupe ce poste, j’ai eu l’occasion
de rencontrer un certain nombre d’entre vous alors que j’avais d’autres
fonctions ici même à l’Assemblée Nationale, je n’ai pas l’intention à court
terme, à titre personnel, de proposer de modifications sur ce sujet.