Le 28 Octobre 2015, L'Autorité de Régulation des Jeux En Ligne (ARJEL) organisait un colloque : "2010-2015-2020 : La régulation des jeux d'argent en France". Parmi les intervenants de la dernière table ronde sur les perspectives, Xavier Hürstel fêtait l'anniversaire de sa nomination un an plus tôt au poste de Président Directeur Général du PMU, dont il en était auparavant le Directeur Délégué Adjoint depuis 2008. Vous n'étiez pas disponible ? Séance de rattrapage avec la retranscription complète de son intervention ce jour-là, en réponse à la question qui lui était posée sur l'évolution nécessaire, selon lui, de la régulation en France et en Europe.
Xavier Hürstel - "Merci à vous, merci pour ce souhait d’anniversaire. Bonne question, très large, sur laquelle je vais essayer également de tenir en dix
minutes. Vous parlez d’opérateur historique, comme effectivement nos homologues
de la Française des Jeux l’ont dit : la loi d’ouverture a bien fonctionné.
Il faut rappeler des choses simples : ce n’était pas une loi d’ouverture
de marché, c’était une loi de régulation d’un marché qui était déjà assez
largement ouvert de manière offshore. Donc maintenant, la loi a un cadre
précis, on en a parlé, on ne va pas revenir dessus. Protecteur pour les
opérateurs légaux, licenciés, protecteur pour les consommateurs, et puis qui a
permis surtout à l’offre légale de se développer. Cela est aussi un principe
qu’il faut que l’on retienne pour la suite : l’une des manières de lutter
contre les paris clandestins, c’est d’augmenter l’offre légale. L’offre légale,
c’est celle qui permet en l’augmentant de se défendre contre le jeu illégal.
Je voulais aussi revenir sur trois points de règlementation,
et je profite de la présence de la Commission Européenne là-dessus qui fait que la règlementation
française a trois particularités dont on
disait au début que cela ne marcherait pas dans le droit communautaire, et cela
a marché. Comme quoi on fait beaucoup quelquefois d’"Europe bashing" dans notre pays et l’Union Européenne sait être
pragmatique. La première chose c’est que tout le monde disait qu’on ne peut pas
réguler internet, qui est transfrontalier, par des licences nationales. Et bien
cela marche, on peut réguler internet avec des licences nationales malgré les
frontières. D’ailleurs le modèle français est plutôt copié par d’autres pays
qui veulent également ouvrir leur marché internet. Le second point qui
concernait beaucoup l’industrie hippique, l’industrie des courses, c’est que
l’on se demandait si un retour financier
pour la filière des courses était possible de la part des nouveaux entrants sur
le marché du pari hippique. Eh bien oui, c’est possible. Il y a une redevance
spécifique qui a été créée et validée par la Commission Européenne, et par
exemple le Royaume-Uni, actuellement, étudie un système de ce type pour pouvoir
remplacer son traditionnel Levy* qui se
fait sur les opérateurs de paris hippiques.
Troisième point, c’est que, en France, le modèle de pari sur les courses est un
modèle mutuel. C’est un modèle mutuel parce que c’est le meilleur modèle pour
rendre du financement à la filière hippique. De toute façon, les faits sont
là : il y a cinq grands pays qui ont des industries hippiques dans le
monde à succès, ce sont cinq pays qui ont une exclusivité en pari mutuel. Donc
si on veut une industrie hippique puissante, il faut un pari mutuel. Et bien
cette « exception française », elle a été validée dans la loi et elle
a été validée par l’Union Européenne. Donc on a trois points de pragmatisme
qu’il faut souligner dans cette ouverture.
Impact économique actuel, puisque c’est la question, sur le
PMU : c’était un défi pour le PMU que cette ouverture du marché internet,
encore une fois quand le marché s’est ouvert, nous étions concernés 10% de
notre activité entrait directement en concurrence, 100% de notre activité
entrait indirectement en concurrence puisque le parieur hippique pouvait tout à
fait partir sur internet. Nos collègues de la Française des Jeux, avec une
activité pari qui était moindre, n'étaient concernés qu’à hauteur de 0,4% de leur activité sur internet en concurrence
directe, et 7% en concurrence indirecte. Donc nous, on avait un vrai défi qui nous attendait. Là-dessus, sur le pari
hippique, le marché du pari hippique online est sans doute arrivé à un certain
niveau de maturité en France. Entre nous et les autres opérateurs, il faut
surtout maintenant innover sur les produits
pour retrouver de la croissance. On a en fait un sujet, c’est que nous
arrivons à avoir une bonne activité hippique sur internet parce que le fait de
pouvoir proposer également du pari sportif
sur internet permet de recruter
des parieurs sur le sport, sur le poker, et c’est notre mission d’intérêt
général de leur proposer du pari sur les courses. Et donc ce que l’on appelle
en marketing un cross sell qui est bénéfique
aux paris hippiques sur internet.
Sur le
pari sportif, l’activité économique est également bonne. L’ouverture a bien
fonctionné. Le seul sujet, c’est que c’est le marché sur le dur qui a surtout
progressé. Je vais revenir là-dessus. Sur le poker, on a un marché qui est en
baisse. Les opérateurs le citaient : c’est un déclin fort du marché. On
demeure cependant le troisième opérateur de ce marché. On a en fait un problème
de liquidités avec un départ de gros joueurs qui quittent les tables françaises
de poker pour repartir sur les tables offshore
et c’est un des sujets à venir.
Donc, vous me demandiez les enjeux économiques à venir. Pour
moi, il y en a deux : le premier qui est de se souvenir de ce qu’il y a
dans la loi de 2010. La loi de 2010 avait un article 3 qui disait qu’il faudrait que l’évolution économique à l’issue de la loi, je cite, « veille
au développement équilibré et équitable des différents types de jeux afin
d’éviter toute déstabilisation économique des filières concernées. On le voit
bien, c’est majoritairement les courses, le sport, indirectement le secteur de
la culture il ne faut pas l’oublier qu’il est financé par une taxe sur le
poker. Mais c’est surtout les courses et le sport. Or, que
constatons-nous ? C’est qu’au PMU comme de la part des autres opérateurs
qui offrent du pari hippique, les recettes issues du pari hippique qui alimentent la filière hippique sont en diminution, chez nous comme chez les autres. C’est pourquoi,
contrairement à ce que l’on pourrait croire, la concurrence n’est pas une
concurrence sur internet entre différents opérateurs, mais cela vient bien chez
nous d’une concurrence entre les produits, et que le pari hippique est quelque
chose de très concurrencé par le pari sportif.
Au début, on estimait tous que la croissance du marché du
pari sportif sur internet serait
importante. On a en fait un marché qui s’est équilibré, d’ailleurs il faut le
dire, un tiers du marché est sur internet et deux tiers du marché sont dans le
réseau offline. La croissance du pari sportif offline était deux fois plus
importante que la croissance du pari
sportif sur internet. C’est donc un vrai sujet pour nous, PMU. Le pari hippique
en dur est très concurrencé par le pari sportif
en dur et là, nous ne pouvons pas offrir de paris sportifs en dur. Ce
que nous pouvons faire en cross sell sur internet, nous ne pouvons pas défendre
le pari hippique par du cross sell avec le pari sportif. C’est un sujet
important, c’est un problème que nous posons dans les réflexions à venir. Comme
le disait mon homologue de la Française des Jeux, je pense que le marché du
pari sportif sur internet a aussi profité du marché en dur. Moi, ce que je
constate également, comme je le disais, c’est que l’activité de pari sportif en
points de vente a aussi profité de tous les efforts de communication qui ont
été menés par tous les opérateurs, dont nous, qui avons joué l’ouverture du
marché. C’est un vrai sujet et je reprends un écrit de l’Arjel d’octobre dernier : « Une
distinction trop rigide entre le réseau physique et le réseau en ligne ne
correspond plus aux évolutions technologiques du secteur et à la vision des joueurs
qui jouent dorénavant indifféremment sur les deux réseaux. Il faut donc que
l’on arrive à trouver une cohérence là-dessus.
Deuxième enjeu économique que je voulais citer, je vais être
rapide là-dessus, c’est de permettre des nouvelles offres de jeu pour maintenir
l’attractivité de l’offre légale. Comme nos homologues de la Française des
Jeux, je pense qu’il faut être prudent là-dessus. La loi en France a défini une
ligne rouge. Cette ligne rouge c’est le hasard d’un côté et l’expertise et le
pari de l’autre. Il y a une cohérence dans cette ligne rouge et j’estime qu’il
faut la maintenir. Le hasard n’est pas concerné à ce stade par nos réflexions.
Sur ce qui est plutôt une zone grise dans ce qui est autorisé en France, on a
quatre sujets qui sont des sujets qui peuvent avoir un impact de régulation et
un impact économique à venir. Le premier qui est très connu maintenant, et sur
lequel l’ARJEL travaille, ce sont l’ouverture du poker aux tables
internationales qui nous permettrait de retrouver les grands joueurs qui, eux, pour l’instant sont partis à
l’étranger. Je ne vais pas revenir là-dessus parce que c’est un sujet que
l’ARJEL connaît bien et que l’on partage avec beaucoup d’autres.
Le second point c’est que sur ce qui est autorisé en paris sportifs
en France, il y a toujours une gamme de paris que l’on peut élargir. L’ARJEL
est revenu sur ce qui était un moment prohibé en matière de matches sans
enjeux. On a restauré pas mal de paris sur ces matches et finalement ça se
passe très bien. L’ARJEL a dorénavant autorisé les paris avec handicap sur le rugby. Moi, je note que la saison de
TOP14 qui vient de commencer, 25% des paris sont des paris à handicap, 33% sur
la Pro D2. Donc il y avait un vrai marché sur les paris à handicap, et moi je
pense qu’il faudra regarder si ces paris à handicap ne pourraient pas concerner
d’autres sports. Et puis, il y a des championnats qui se développent de manière
très spectaculaires en France et à l’étranger : c’est le football féminin.
Donc j’appelle à une réflexion là-dessus. Ça, c’est sur ce qui est autorisé.
Ensuite, on a des zones grises. Comme le disaient nos
homologues de la Française des Jeux, la première est les skill games, jeux
d’adresse, qui ont largement été payants en France. Payer pour jouer, ou gagner
de l’argent, que pour l’instant la loi interdit . Maintenant, ce n’est pas tout
d’interdire. De fait, on peut toujours jouer à des skill games plus ou moins
payants sur des sites plus ou moins offshore, et là-dessus on pense qu’il
faudrait aller plus loin. Il faut se
poser la question des skill games : soit il y a réellement de l’argent
derrière, ça rentre dans la loi de 2010, soit le skill game est totalement
interdit en France, auquel cas on a un vrai sujet de blocage, également , des
sites là-dessus. Parce que je le revois très bien dans l’enquête de
l’Observatoire des Jeux, pour un client, jouer en skill games c’est la même
chose que jouer en ligne. Il ne voyait pas la différence. Second point de ce
que l’on appelle les zones grises, ce sont les Fantasy League et eSports. Ce
sont deux choses qui sont différentes. Fantasy League, c’est beaucoup, en
particulier dans le milieu anglo-saxon, la capacité d’un joueur de manière fictive
de constituer une équipe de football et d’encaisser des gains en fonction de ce
que ses joueurs de ligue de football réalisent comme réelles performances sur
la vie réelle du championnat, en nombre de buts marqués, etc. Un gros succès
aux Etats-Unis des Fantasy League avec un débat américain disant « Peut-on
parier ou non sur des Fantasy League ? ».
Ça commence à se développer en France. Il faut ouvrir ce sujet, peut-être pour le fermer. En tout cas, c’est vraiment une zone grise
sur laquelle il faut avancer. Sur le eSport, c’est la même chose. Ces
championnats qui sont, là pour le coup, sur des équipes quasiment
professionnelles de jeux vidéo, il y a une activité qui se développe, le pari sur le eSport se développe. C'est une zone grise, il faut savoir ce que l'on en fait. Je constate que la Secrétaire d'Etat au Numérique, Axelle Lemaire, a ouvert la consultation visant à co-construire le projet de loi sur le Numérique dans les semaines à venir et que la première question qu'Axelle Lemaire pose dans cette consultation numérique, c'est : "Quelle place pour le eSport en France ?". Donc il faut pouvoir répondre à cette question pour que nous ne recommencions pas à avoir de jeux clandestins en matière de skill games, de Fantasy League et en matière d'eSport. Voilà quelles sont, Monsieur le Président, chers orateurs, ce que nous souhaiterions voir comme sujets économiques à venir dans les réflexions que vous lancez."
soxav
* Mécanisme issu des années 50 et 60 par lequel la filière hippique reçoit chaque année un revenu des opérateurs de paris.
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